
La Voiture Salon du CFC.
Marc A. DUBOUT
L'idée de construire une voiture fermée au CFC ne date pas d'aujourd'hui. En effet lorsque nous avions commencé l'exploitation du Chemin de fer des Chanteraines en 1984, Jean-Claude Stahl qui était alors responsable technique et moi étions déjà à la recherche de matériel roulant. Nous nous étions rendus avec Maurice A. Poot dans les glaisières près de Longueville (Seine et Marne) où des réseaux à voie de 60 et de 50 étaient encore exploités de manière artisanale et dont l'activité respirait déjà la fin proche. Une autre piste nous avait amenés à St Florentin, petite ville industrielle de l'Yonne, dans laquelle les établissements Gaillard exploitaient (et exploitent toujours) un chantier de créosotage des bois. Un réseau en voie de 60 relativement important desservait l'établissement. Un jour en revenant de la Côte d'Or, je m'étais arrêté et j'avais remarqué à travers le grillage, un stock d'essieux au rebut. Il s'agissait d'essieux de bonne dimension (roues de 450 mm) que nous aurions pu récupérer, malheureusement ils étaient à la limite d'usure.
A cette époque Patrick Mourot venait de sauvegarder le réseau des Ciments Français de Montebourg dans la Manche, et il avait récupéré une soixantaine de bennes basculantes Decauville type 1925. Nous nous étions mis d'accord avec lui pour acheter six châssis, c'était nous semblait-il, idéal pour faire des bogies et construire dessus une infrastructure, puis une caisse, puis..., etc.
L'affaire se concrétisant, je passais beaucoup de temps à imaginer, dessiner, pour mettre notre projet en forme et ce qui était sorti, c'était une voiture fermée de 16 places assises plus 12 strapontins sur les plates-formes d'extrémité. De gabarit semblable aux baladeuses Socofer, notre voiture avait fière allure.
Sur papier ça va tellement vite qu'il était possible de la décliner en deux autres versions de même capacité mais avec soit une plate-forme centrale entourée de 2 caisses, soit une alternance de plates-formes et de caisses. Enfin tout nous semblait possible (voilà le piège : c'est toujours plus facile dans la tête que dans la réalité et quand on pose le crayon pour prendre l'outil, ce n'est plus la même histoire).
Quelque soit la version les plates-formes ouvertes donnaient accès à l'habitacle par des portes excentrées et l'intérieur comprenait une alternance de sièges simples et doubles offrant ainsi des travées de six places avec couloir et tout ça dans les 1,800 m réglementaires du gabarit de la voie de 60.

Tout avait été globalement pensé et nous avions transmis nos plans à Socofer pour l'établissement d'un devis de fabrication. J'ai gardé la proposition dans mes archives, une baladeuse coûtait 260 000 F, une série de trois abaissait le prix à 235000 F nous étions en Juin 1985.
II faut dire qu'à cette époque nous allions recevoir la 020T Decauville (tiens au fait où est-elle 1) et les bennes qu'il fallait remettre en état et que mes beaux dessins étaient au fond d'une chemise avec la mention " pour plus tard ". Puis à la réflexion ces châssis de bennes étaient un peu trop lourd, un peu trop grand, un peu trop haut ... un peu trop " pas génial " et notre projet s'est soldé par l'achat de trois bennes complètes qui ont fait l'objet d'un don au CFC de la part de notre ami Maurice A. Poot.
La restauration de la 020T allait nous prendre une énergie de tous les samedis et l'idée de notre voiture était remis pour plus tard.
À l'été 88, nous étions revenus au point de départ. Divers projets de récupération de bogies Péchot avaient été évoqués sans aboutissement, jusqu'au jour où nous avons décidé de construire nous même notre voiture fermée à partir de rien, ou presque rien puisque nous avions déjà les essieux et boîtes d'essieux que nous avions été chercher avec Jean-Claude Lalande et Jean-Michel Baudin dans la carrière d'Échassières (Allier).
Dès octobre, nous nous attachâmes à construire les bogies. Nous mîmes une baladeuse Socofer sur la fosse et mesurâmes tous les fers qui composent le bogie, les reportant sur papier et dans la semaine suivante un devis fût demandé à la Société Groupacier. Les deux bogies nous revenaient à 3581 F de matière première à laquelle il fallait ajouter bien sûr pas mal de soudure, d'heures et de sueur. Cela dit, ce n'était rien par rapport à l'offre de Socofer qui s'élevait à la même époque à 39 800 F pour un bogie freiné et 32 800 F pour un bogie non freiné.
Nomenclature des pièces composant le bogie.
UPN
|
120 |
55 |
1300 |
2 | pièces |
|
160 |
65 |
780 |
4 | pièces |
|
200 |
75 |
1225 |
1 | pièce |
FER PLAT
|
10 |
195 |
100 |
2 | pièces |
|
14 |
80 |
220 |
2 | pièces |
|
14 |
200 |
370 |
2 | pièces |
|
16 |
65 |
100 |
8 | pièces |
|
16 |
80 |
310 |
6 | pièces |
|
16 |
80 |
920 ou X |
4 | pièces |
|
16 |
195 |
200 |
2 | pièces |
|
20 |
190 |
100 |
2 | pièces |
|
10 |
150 |
150 |
4 | pièces |

Pendant l'automne, nous montâmes les deux bogies et à la fin janvier 89, ils étaient soudés et peints de surcroît. Il ne restait plus qu'à construire le châssis. À l'été 89 c'en était fait, le châssis était monté sur ses bogies et le plancher que Michel Dubuis † avait ramené de la Nièvre était posé ainsi que les marche-pieds. Nous avions un magnifique wagon plat de 8,120 m de long sur 1,600 m de large et de 0,600 m de hauteur muni de l'attelage Rockinger et roulant à merveille.
Nomenclature des pièces composants le châssis
UPN
| 140 | 60 | 8000 | 3 pièces |
| 140 | 60 | 1600 | 2 pièces |
| 100 | 50 | 670 | 14 pièces |
| 140 | 60 | 1480 | 2 pièces |
PLATS
| 20 | 60 | 320 | 4 pièces |
| 16 | 200 | 400 trou D=85 | 2 pièces |
| 16 | 320 | 320 | 2 pièces |
À cette époque, le 30 Juin 89 exactement, des contacts étaient pris avec le Lycée d'Enseignement Professionnel de l'Automobile de Villeneuve-la-Garenne pour la construction de la superstructure selon des plans que j'avais transmis et qui n'étaient plus tout à fait ceux du départ puisque la voiture était passée de 7,600 m à 8,120 m. Pourquoi cette augmentation ? Eh bien parce qu'entre temps j'avais vu sur la revue " Magazine des Tramways â Vapeur et des Secondaires " que les voitures qui étaient agencées en sièges longitudinaux avaient une capacité d'accueil supérieure et que 8 m y compris les plate-formes d'extrémité offraient une capacité de deux rangées de 15 places assises. Une largeur de 0,450 m étant admise pour une place assise.

En Octobre, lorsque des divers détails étaient mis au point, les premiers wagons des
Établissements Luchaire arrivèrent. Ce fût à la fois une joie (vous pensez 23 wagons complets
(14 Péchot De Dietrich, 9 Decauville de 1916 plus 4 trucks Péchot d'origine) et en assez bon état sur un réseau touristique, ça ne se voit pas tous les jours) et une peine car s'ils étaient arrivés un an plus tôt ces wagons, nous aurions économiser notre peine. Mais, bon... c'est comme çà.

Le
châssis est terminé, il est prêt à recevoir la caisse en trois parties
Le 07 Avril 1990, le premier élément de la caisse est boulonné sur notre châssis. Inutile de vous dire que ce jour là, ce fût la liesse au CFC et pour ceux qui ont participé au déchargement ce jour restera inoubliable. Le camion arriva un samedi matin de bonne heure avec sur la plate-forme arrière le premier élément dont j'avais suivi l'évolution au LEP. Après avoir sorti la voiture du dépôt à l'aide du locotracteur Campagne, le camion par l'arrière se mit face à elle. Rouleaux, leviers, bastings et bras furent nécessaires pour faire riper la caisse du plateau sur la baladeuse.
L'inévitable photo immortalisa l'événement.


Le camion arrive sur le grill du dépôt avec le premier élément. (photo MAD)

L'équipe fait riper la caisse du camion sur le châssis de la voiture. (photo MAD)

En mai-juin, grâce à Thierry Matté, notre équipe récupéra, auprès de la RATP, 200 sièges de RER MS 61. Voilà de quoi équiper l'ensemble de notre parc de matériel roulant.
Carte d'identité de la Voiture Salon Sf-1.
| poids à vides à vide | 3t |
| longueur | 8,120 m |
| largeur | 1,800 m |
| largeur hors-tout | 2,100 m |
| hauteur | 2,600 m |
| empattement des essieux | 1,000 m |
| entr'axe des pivots | 5,900 m |
| frein | à air |

Pour les journées " Portes-ouvertes
" des 20 et 21 Mai 1990, nous avions l'intention de présenter notre voiture et de mettre en valeur l'unique élément qui la composait.
Un dimanche d'exploitation, quelle ne fût pas notre surprise en fin de journée, retour au dépôt, lorsque l'équipe de conduite vit sur le grill la voiture salon peinte en bordeaux et noire.
Six mois plus tard, le l5 Décembre, le deuxième élément est arrivé. Pour éviter le fléchage du châssis, nous avons dû, avec Gilbert Dumy †, construire une contre-flèche avec tendeurs donnant ainsi un aspect encore un peu plus "secondaire".


Gros plan sur le tendeur. (photo Michel Dubuis)
Le lycée en difficulté pour terminer le montage nous livra les dernières pièces du troisième élément et nous exécutâmes nous même le montage à l'envers dans un premier temps puis dans le bon sens ensuite (bravo Dubout !)
Le troisième élément est encore sur son châssis d'origine, la voiture prend forme (photo Michel Dubuis)
Puis ce fût l'aménagement intérieur en menuiserie que prirent en charge Claude Delavigne † et Jean-Pierre Schmit †. Dès lors, notre voiture pris une tournure beaucoup plus chaleureuse.
Le chaudron est terminé maintenant il ne reste plus que la peinture et la décoration. (photo Michel Dubuis)

Fin janvier 92 les châssis de fenêtres vitrés nous parvenaient, et le poêle était installé et bien sûr aussitôt allumé. Nous étions sur le point de finir, il ne restait plus que la peinture et la décoration. Ce fût fait pour la date tampon du 7 Avril 91, date à laquelle notre Voiture Salon immatriculée Sf-1 sur le CFC fût exposée au Salon du Modélisme à la Porte de Versailles à la grande joie de tous.

Le 26 Juin 1992, la Voiture Salon participa à l'accueil des visiteurs de l'AJECTA. Par la suite, cette voiture fût incluse dans les rames pour le service régulier.
Outre, la capacité supplémentaire qu'elle offre les jours d'affluence, sa construction a concrétisé un projet que nous avons su faire aboutir et un travail d'équipe où chacun selon ses moyens et ses compétences a apporté son empreinte.
Elle restera pour tous un des fleurons du CFC, d'ailleurs, on en a fait une carte postale.
