Le carnet du CFC

ROMAN EN TROIS EPISODES, par Michel DUBUIS.

2 - La Désillusion

Michel DUBUIS

Ce n'était déjà plus chose aisée en 1970 de récupérer du matériel ancien en voie de 60 : j'ai oublié de préciser au chapitre précédent que, sans l'aide d'un éminent collectionneur parisien, sans doute mon rêve aurait-il échoué.
Or donc, par un beau début de juillet 1970, nous voici partis de bon matin, quatre vrais copains, pour Origny-Ste-Benoîte, but: rapatriement de l'engin.
Arrivés bien à l'heure (sauf le transporteur) et après les contacts d'usage avec les responsables, nous nous dirigeons vers le lieu de l'enlèvement. Lors de ma première visite, je n'avais eu qu'une vision fugace de l'emplacement et de la machine. Dans l'euphorie du moment, tout semblait simple. Aujourd'hui, comme diraient certains: "Bonjour le boulot!", car la machine est ceinturée d'un tel fatras de tôles, poutres, débris métallurgiques de toutes sortes, qu'il est impossible de la sortir telle quelle.
Après concertation avec le chef de chantier, fort coopératif au demeurant, il est décidé de dépêcher sur place un engin monstrueux du genre "Jumbo", sorte de pelle mécanique qui vous soulève et vous arrache n'importe quoi.
Vers 10 heures 30, le déblaiement "musclé" commence. Au bout d'une valse cyclopéenne de trente minutes, le "Jumbo" a fait place nette autour de la Decauville. Enfin la satisfaction de pouvoir poser la main dessus. Dessus? Erreur, car c'est sur une couche impressionnante de ciment qui recouvre entièrement la machine que je pose la main. Premier souci: comment pourra-t-on venir à bout d'une telle gangue ?

Prise de la locomotive à l'aide d'une pelleteuse;

Le transporteur étant enfin sur les lieux, il est grand temps de penser à charger. Mais la loco étant sous un hangar, il faut d'abord l'en tirer. Tirer comment ? 
Elle n'est même plus sur ses rails ! Unique solution: une nouvelle intervention du "Jumbo" qui entame une procédure d'extirpation hors du hangar, pendant que pour nous spectateurs l'émotion vire à la panique.

Après un "décollage" du sol avec tangage scabreux par tribord et babord, l'engin manoeuvre pour relier la pelle à la loco au moyen d'une é lingue afin de procéder à l'ultime ripage hors du hangar. Ripage plus que chaotique mais au cours duquel j'ai quand même la satisfaction de voir les roues tourner à même le sol.

Il est 12  heures. Phase dernière chargement sur le plateau porte engins. Elingage de nouveau et fixation du câble dans les dents de la pelle (inquiétude des participants! ), mais sans ris-que aux dires du spécialiste "ès manoeuvres" .
Soulèvement de la laco (tachycardie ! ) , approche de la remorque, mise en position, début de la descente, secondes de silence...

Et BANG! la machine étant à environ 40 centimètres du plateau, l'élingue "pète" d'un seul coup, la loco effectue une descente supersonique sur la remorque. Nous n'en revenons pas: pas de blessés, pas de dégâts apparents, pas de joie non plus sur le visage du patron du camion ni sur le mien! Rien qu'un "petit frisson". Inutile de dire que l'arrimage sur la remorque est surveillé par plus d'un oeil attentif: pas question d'éparpiller le chargement sur la nationale.

Pose sur la camion de la lcomotive

Pendant ce temps, je peux enfin effectuer le tour du propriétaire. C'est là que commence la grande désillusion: état extérieur lamentable, tôles enfoncées, coussinets de bielles
détériorés, frein cassé voire inexistant, quant à la chaudière....

Les dés sont jetés, il faut emmener la marchandise. La concertation avec les amis ne fait pas ressortir des encouragements enthousiastes. Sauf un qui affirme "que le ciment, ça conserve..." Aura-t-il raison? Mystère. En tous cas, la pauvre 030, avec ses plaies, ses bosses, son grand âge et sa misère "prend la route" qui l'emmène vers un autre destin.

(à suivre )

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